Bill TUMAN From Rockford ( Illinois )
Entre le 23 juillet et le 19 août 1949, Bill TUMAN, de Rockford, Illinois, aligne une série impressionnante de 25 victoires sur son 750 INDIAN SPORT SCOUT BIG BASE dans les courses du midwest des Etats Unis, entre l'Illinois ( Streator, Oregon et Decatur ), l'Iowa ( Davenport et Ocasula ), le Kansas ( Norton ) et Cedarburg dans le Wisconsin.
1946 : l'Amérique est en pleine effervescence entre la fin d’une période intense de production due à l’effort de guerre et une économie de paix en plein essor. Les sports sont les principaux divertissements pour une population qui travaille dur. Des millions de spectateurs affluent vers les circuits, les pistes et les terrains, ou se réunissent autour de téléviseurs et de radios pour suivre les compétitions automobiles, les courses motocyclistes, le baseball, le football, la boxe. Aux 500 miles d’Indianapolis, des pilotes comme Bill VUKOVICH et Johnnie PARSONS sont de véritables héros nationaux. En tant que propriétaire, sponsor, mécanicien, préparateur et pilote de son INDIAN SPORT SCOUT 750, Bill TUMAN est là, parmi les plus extraordinaires personnalités sportives du moment et va marquer l’histoire de la compétition motocycliste Américaine en devenant une légende.
Après la seconde guerre mondiale, les courses se déroulent sur les innombrables pistes ovales de un mile ( 1.6 km ) ou de un-demi mile du pays et sur les circuits de DAYTONA et de LACONIA. Mais c’est sur l’ovale en terre d’un mile, situé au cœur de SPRINGFIELD, capitale de l’état de l’ILLINOIS, que le Champion National est couronné.
C’est l’âge d’or de la compétition moto : HARLEY DAVIDSON contre INDIAN, les constructeurs Américains contre les Européens, avec en première ligne, les Anglais, les Italiens et les Allemands. Camaraderie et esprit sportif dans les stands, lutte sans sur les pistes. De grands hommes et leurs impressionnantes machines.
Bill TUMAN et ses amis, Bobby HILL et Ernie BECKMAN, forment l’Indian Wrecking Crew et tracent leurs routes en portant au plus haut la bannière d’un constructeur à l’agonie, qui vit ses derniers instants.
MILWAUKEE, WISCONSIN, mardi 8 septembre 1953, neuf heure du matin : Les administrateurs de la HARLEY DAVIDSON MOTORCYCLE COMPANY sont assis autour de la grande table d'acajou de la salle de réunion, au 5ème étage du siège de l’entreprise, sur Juneau Avenue. Ils savourent leurs cafés et dégustent de délicieux cigares Cubains. L’ambiance générale est à l’image de leur humeur : joyeuse. Ils commentent la récente disparition de leur principal rival, l’INDIAN MOTORCYCLE COMPANY ( HENDEE MANUFACTURING ).
L'humeur change rapidement quand William H. DAVIDSON entre dans la pièce et plaque une copie de la page sport du Milwaukee Sentinel sur la table. En gros titre, on peut y lire : " Bill TUMAN mène une INDIAN à la victoire aux championnats nationaux de SPRINGFIELD ".
INDIAN a toujours donné du fil à retordre à HARLEY DAVIDSON. Aujourd’hui, ce principal rival est poussé hors course par la faillite. Malgré cela, un noyau dur de pilotes, sponsorisés par les concessionnaires, continuent à leur tailler des croupières en compétition.
L’Indian Wrecking Crew porte décidément bien son nom : '' Equipe de démolition ! ''
L'ultime humiliation qui fait exploser Bill DAVIDSON en pleine réunion de conseil d'administration est cette victoire de Bill TUMAN, le week-end précédent, le jour du Labor Day, lors du prestigieux championnat national de SPRINGFIELD. HARLEY y célébrait son cinquantième anniversaire. L’usine, qui vient de sortir le modèle K en 1952, a tout misé sur sa légèreté, sa maniabilité et sa puissance, à l’image des motos de course Européennes et, surtout, Anglaises. Et ce sont encore des INDIAN qui raflent la mise !
En 1945, Bill TUMAN est employé à la Navy Supply Depot à OAKLAND, CALIFORNIE. La guerre terminée, il perd son travail. Bill est loin de ROCKFORD, ILLINOIS, et à besoin de retrouver un job.
Il y a un magasin de motos de l’autre côté de la rue, avec un panonceau ’’ On cherche un mécanicien’’. Bill n’est pas un mécano moto, mais il avait toujours été en mesure de réparer tout ce qui lui passe par les mains. Il passe la porte, offre ses services et le voilà embauché dans la concession INDIAN de Hap Jones. Très vite, il construit une machine de course pour Hap qui remporte a son guidon une importante course de 100 mile. Ainsi débute une vie faite de courses de motos, d’excitation et d’excellence.
Malgré son succès en Californie, Bill aspire à retourner au pays. De retour à ROCKFORD, il récupère une INDIAN des surplus de l’armée Américaine et passe tout l'hiver dans son garage non chauffé pour en faire une moto de compétition.
Dès sa première course, à MENDOTA, ILLINOIS, il se place deuxième. Nous sommes en 1946. Il collabore avec Joe BISHMAN, champion avant-guerre. Bill découvre qu'il peut courir avec les meilleurs et gagne des courses locales. Il se dit: ’’Voilà quelque-chose que je peux faire !’’. Sa carrière de coureur est lancée. Dès le départ, ses résultats sont tels qu’il passe du statut d’amateur à la classe ’’Top expert’’ la première année, sans passer par la classe ’’Novice’’, normalement incontournable.
Il attire vite l’attention et gagne le soutien de sponsors. Edwin "Smitty" SMITH, le concessionnaire INDIAN de ROCK ISLAND, ILLINOIS, le parraine et il a l’appui d'autres concessionnaires et même de l’usine. Contrairement au sponsoring moderne, il ne s’agit que d’obtenir quelques pièces de rechange, d’avoir une place dans un coin de l’atelier pour travailler sur sa moto, et de disposer d’un peu d’argent pour les dépenses courantes.
Bill est un excellent préparateur et, surtout, un excellent metteur au point. Il améliore son INDIAN, abaisse l’axe de la roue avant, diminue la hauteur de fourche. Il réalise que le moteur ’’Big Base’’, pourtant à vocation sportive, a un embiellage dont l’équilibrage manque de rigueur. Il ajoute des contrepoids au vilebrequin, ce qui augmente sensiblement la fiabilité à haute vitesse et, surtout, permet d’atteindre des régimes plus élevés.
Parallèlement à cela, il prépare des moteurs pour d'autres coureurs. La société Hess Machine Works à ROCKFORD, ILLINOIS, l’autorise à utiliser ses machines-outils pour fabriquer des pièces.
Les moteurs INDIAN de Bill TUMAN étaient très demandés à l’époque et encore de nos jours !
Bill connu un succès phénoménal en 1947, sa deuxième année en tant que coureur, engagé dans 46 courses, il en gagne 41 premières, s’empare de deux secondes places et se classe trois fois troisième !
Il a une famille à nourrir et des factures à payer, ce qui l’oblige à participer aux compétitions les plus proches possibles de son domicile, pour limiter les frais. Il a découvert qu'il pouvait faire plus d'argent de cette façon, plutôt que de parcourir le pays pour participer aux plus grandes courses nationales. En 1948 et 1949, il continue de maintenir un rythme effréné, participant parfois à 7 courses dans la même semaine, principalement dans le Mid West, sur les épreuves locales, celles du comté et celles de l’état. Il accumule 192 victoires, 72 secondes places et 21 troisièmes places. Malgré son incroyable série de podiums, il n’a toujours pas gagné un " National ". Mais cela va bientôt changer.
Le 17 Septembre 1950 Bill gagne la première de ses 5 courses nationales à DES MOINES, IOWA. Ce fut une victoire âprement disputée contre les meilleurs du ½ mile dirt track. Paul GOLDSMITH sur une HARLEY DAVIDSON a très vite pris de l’avance, suivi par Paul ALBRECHT, également sur HARLEY avec Bill collé à sa roue arrière. Pendant 10 tours, les places changent successivement et la bagarre fait de plus en plus rage au fur et à mesure de l’approche de la ligne d’arrivée. L'intensité est à son paroxysme dans le dernier tour où Bill, alors en tête, résiste à la remontée d’ALBRECHT et passe la ligne d’arrivée victorieux. La seule INDIAN engagée arrive en tête !
Un mois plus tard il renouvelle son exploit face à ALBRECHT et remporte sa deuxième victoire nationale à READING, PENNSYLVANIE.
La renommée et la popularité de Bill continuent de croître. Les supporters et les clubs de course à travers le pays l’ont élu Pilote le plus populaire et il obtient le très convoité prix de l’American Motorcyclist Aassociation de 1950. C’était un concurrent féroce, mais, dans le même temps, toujours gentleman et fair-play. A l’image de cette anecdote : lors du 15 Mile national à MILWAUKEE, WISCONSIN, alors qu’il se battait roue dans roue contre Jimmy CHANN sur HARLEY, Jimmy, alors devant, perds le contrôle de sa moto et part en dribble. Pour ne pas risquer de le percuter s’il chute, Bill freine et fait un large détour dans la partie boueuse de la piste, perdant 3 places dans la manœuvre. Un officiel HARLEY DAVIDSON interrogé sur l'incident dira ’’J’en ai été tellement malade. J’ai failli pleurer. J’ai dû quitter les lieux le plus vite possible. Bill avait la victoire en poche. Il a préféré laisser Jimmy gagner et a joué la sécurité pour ne pas provoquer un accident’’.
Les coureurs populaires étaient des hommes comme Dick KLAMFOTH, Joe LEONARD, Paul GOLDSMITH, Bobby HILL et Bill TUMAN. Ils avaient tous leur poursuivants. La concurrence était vive parmi les coureurs et parmi les constructeurs. INDIAN, HARLEY DAVIDSON, BSA, TRIUMPH, NORTON, VELOCETTE, MATCHLESS, tous se battaient pour la suprématie. Ils s’alignent sur les lignes de départ de milliers de courses sur pistes locales, celles des comtés et des états. Les courses nationales comme DODGE CITY, MILWAUKEE, DAYTONA, et DES MOINES attirent encore plus les foules.
La plus réputée des courses de l’époque est SPRINGFIELD. Les meilleurs coureurs s’y retrouvent chaque année, en septembre pour The Springfield Mile, une série de courses de qualification très disputée qui réduit les 50 ou 60 meilleurs pilotes à une finale top 10. L'élite, 10 coureurs, luttent pour le prestigieux trophée du Championnat National en une course de 25 mile sur la célèbre 1 mile dirt-track. Le vainqueur gagne le droit de porter le numéro 1 sur sa moto la saison suivante.
Malgré tous ses succès, le grand prix du Championnat National échappe à Bill. En fait SPRINGFIELD semblait presque être sa piste maudite. En 1951, lors d’une manche qualificative, il avait besoin d'une 5e place pour accéder à la finale. Il courait dans le groupe de tête quand il a été heurté dans le dernier virage. Il mit toutes ses forces dans la bataille pour remonter le terrain perdu, mais il passe la ligne en sixième position, ce qui le prive de la finale.
Mais, le règlement lui permet d’être remplaçant, en cas de forfait d’un des dix finalistes.
Or, incroyablement, seulement neufs coureurs se présentent. Bill est appelé en tant que remplaçant. Malheureusement pour lui, Jimmy CHANN, fit un véritable scandale et protesta vivement auprès des officiels en argumentant le fait que Bill n’a pas été qualifié et qu’il n’y avait pas de raison de lui donner sa chance. Les organisateurs, gênés par le tapage, proposèrent finalement de faire voter les coureurs pour trancher. Avec 7 HARLEY engagées contre 2 INDIAN, le résultat fût sans surprise : 7 contre, 2 pour !
Bill, furieux, quitta les lieux, non sans dire à CHANN qu’il était le pire mauvais joueur qu’il n’a jamais rencontré. CHANN répondit en souriant : ’’ Il est plus facile de te battre par un vote que sur la piste ’’.
En 1953 Bill est de retour à SPRINGFIELD. Il participe à la dernière manche qualificative et, de nouveau, il est percuté. Le choc plie sa plaque de numéro qui frotte contre le pneu arrière. C’est le dernier tour, il est à la dernière place et, se souvenant de sa mésaventure de 1951, il décide de tenter le tout pour le tout pour se qualifier. Il accélère, réalise qu’il n’y a pas d’ouverture devant lui et se dit : ’’ J’y vais de toute façon ! ’’. Il s’impose, bousculant KLAMFOTH sur la droite, un autre pilote sur la gauche et passe la ligne d’arrivée en cinquième position, obtenant ainsi sa qualification pour la finale du Championnat National.
La finale de 25 mile promet d’être une nouvelle difficile bataille pour Bill, sur la célèbre 1 Mile Dirt Track. Imaginez l'excitation sur la ligne de départ, au milieu des meilleurs coureurs nationaux alignés pour les 25 tours du plus grand prix de compétition moto américain. Les concurrents sont, entre autres, Bobby HILL, à la corde, Paul GOLDSMITH, Joe LEONARD, Everett BRASHEAR, Ernie BECKMAN, Al GUNTER. Ces pilotes se battront sans pitié et, tour après tour, l’intensité de la compétition et la tension sur la piste monteront de plus en plus.
Après toutes les épreuves que Bill dû traverser pour se qualifier, il démontra que sa place en finale n’était pas volée. Alors que GUNTER, sur sa BSA, sort un peu trop large dans le dernier tour, Bill qui vient de dépasser LEONARD et GOLDSMITH est le premier sous le drapeau à damier. C’est une grande victoire pour lui, même s’il dira plus tard que les épreuves de qualification de SPRINGFIELD lui ont procuré plus d'excitations que la finale.
Tout au long de sa carrière l'INDIAN fût sa principale moto en compétition, mais il a également couru sur NORTON, BSA et TRIUMPH. Bill pris sa retraite des circuits en 1955. Après une course en PENNSYLVANNIE, il quitta les stands et se présenta directement chez Walt BROWN, représentant BSA. Il lui demanda s’il avait un emploi pour lui.
Le lundi suivant, Bill est sur la route en tant que représentant de l'usine de BSA dans le centre-ouest. Trois ans après, il ouvre sa propre concession et a fini par devenir un concessionnaire HONDA très réputé.
Ainsi va le destin. Vivre en s’éclatant, plein gaz, le rêve Américain des années 50.
Traduction d'un article de Tom ROSE, journaliste au Motorcycle Classics.